Quand le coyote

sert de dessert au loup-garou

   Je détalais avec frénésie sous les frondaisons pour échapper à mon assaillant. Les branchages des buissons fouettaient ma fourrure sans m’écorcher la peau. J’avais le pelage dru, nous étions au plein cœur de l’hiver, le jour de Noël. Je haletais maintenant, il courait vite, mais moi aussi. Je glapis en entendant le prédateur se rapprocher dangereusement et bondis en souplesse par-dessus l’obstacle qui venait d’apparaître devant moi, un tronc coucher couvert de neige glacée, entravait la sente de cariacou que j’avais emprunté pour lui échapper.

 

   L’instant suivant, je déboulais la pente neigeuse. Il m’avait rattrapé et nous faisions un roulé bouler chaotique. Il grogna, je glapis et nous arrivâmes au pied de l’escarpement, couvert de poudreuse, la pointe des poils raidis par le froid. Une fois en bas, il se jeta sur moi. J’aboyai et tentai une nouvelle esquive ratée. Il encercla mon corps de ses formidables pattes à l’épais pelage, une prison aux barreaux de fourrure, puis sans prévenir me mordit la peau du cou à la façon des amants. Je jappai. Il desserra son étreinte et commença à me lécher le museau en couinant comme un jeune chiot. N’y tenant plus, je recouvris ma forme humaine et me retrouvai nue, frigorifiée sur la neige gelée, pour seule couverture la masse terrifiante de mon compagnon sous sa forme de loup-garou.

   — Adam ! Arrête, c’est dégoûtant, m’écriai-je tout en riant sous sa langue râpeuse et joueuse.

 

   Je me faufilai par la porte de derrière, porte qui, comme toutes celles de la grande demeure, était ornée d’une immense couronne de fête, constituée d’un entrelacs de branches de sapin, de houx et de gui, le tout surmonté de jolis nœuds rouges, de pommes de pins et de poinsettias en toile de jute. C’était Jesse, la fille d’Adam, et son amie Izzy, qui s’étaient lancées avec entrain dans la conception de ces décorations colorées.

 

    J’enfilai sur mon corps nu le t-shirt que je venais d’extraire du panier à linge sale, dans la buanderie, le temps de rejoindre notre chambre, pour ne pas avoir à expliquer à tous ceux susceptibles de croiser mon chemin,

la maison d’Adam étant le club-house de sa meute, pourquoi je me baladais à poil dans les couloirs, sachant en sus que les invités allaient de ce pas débarquer et que je n’étais toujours pas habillée.

 

   J’avais fait un gros effort vestimentaire pour l’occasion, une robe noire près du corps soulignait délicatement ma silhouette musclée. Je n’étais pas, contrairement à Adam, une figure de beauté, mais mon teint hâlé et métissé adoucissait mes traits et ma musculature compensait une allure ordinaire. J’avais pris soin de couper ras mes ongles et réussi à enlever presque tout le cambouis de mes doigts de garagiste.

   Je venais de m’attacher les cheveux en une simple queue de cheval lorsque Adam arriva derrière moi, un verre de champagne à la main, dans un complet en lin anthracite taillé avec soin et soulignant avec élégance sa carrure sculptée. Il tira sur le nœud qui retenait mes cheveux et les ébouriffa avec une tendresse qui me fit retenir ma langue, peu amène sur l’instant. Mon compagnon était l’homme le plus beau que j’eusse jamais croisé et le plus merveilleux qui soit, si tant est qu’un loup-garou puisse être considéré comme merveilleux. Il me tendit la coupe remplie de bulles, posa sur ma tête un bonnet de père Noël, ou de mère Noël, au choix, avec un regard espiègle et s’empressa de déposer un rapide baiser sur mes lèvres pour étouffer mes protestations.

   N’étant pas en reste dès qu’il s’agissait de m’amuser, je récupérai le serre-tête que j’avais laissé sur la table, près de moi, et le posai sur les cheveux coupés courts d’Adam, qui se retrouva avec des bois de rennes en polaire sur la tête.

   — Mercy… gronda-t-il de sa voix grave et suave, me procurant un frisson exquis le long du dos.

   Les prunelles pétillantes de malice, je lui lançai un regard prometteur qu’il accueillit d’un sourire ravageur. Une connivence brûlante au fond des yeux, nous trinquâmes. Nos coupes de champagne s’entrechoquèrent, caressant amoureusement nos oreilles d’une douce et cristalline mélodie.

 

© Claytone Carpe 2017


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Voici ma participation à un petit concours amical sur un forum littéraire où il fallait mettre en situation l’un de ses personnages préférés dans un environnement Noëlesque. Pour ma part, j’ai emprunté Mercy Thompson à Patricia Briggs pour lui offrir un jour de Noël sympathique.

Pour ceux qui ne connaissent pas, voici une petite présentation succincte de l’héroïne :

 

Mercy Thompson est une femme simple, garagiste de profession, coyote de nature et d’un naturel facile à vivre, même s’il vaut mieux éviter de lui marcher sur les pieds. Au premier regard elle paraît effacée, banale, sans attrait particulier avec un caractère trop conciliant. Notre coyote correspond tout à fait à l’expression : « Ne pas se fier aux apparences ». Le tempérament de la change-forme est sans prise de tête. Elle est distrayante, solide et à la tête sur les épaules. Elle aime les réparties malicieuses, possède un esprit affûté et est d’une nature un tantinet rebelle. J’aime ce côté femme indépendante qui s’assume coûte que coûte. Elle est forte, n’a besoin de personne, mais n’est pas grande gueule ou présomptueuse pour autant. Et il arrive parfois qu’un petit coup de pouce extérieur lui soit bénéfique et nécessaire. Elle déteste l’autorité en général et celle de meute en particulier. Prenez un homme de nature dominante, faite en un loup-garou et il déborde de testostérone, et si, en sus, il est chef de meute… Eh bien notre Mercy en fera un gentil petit toutou. Bon là j’exagère un chouia (un grand chouia même ^ ^). En fait notre coyote n’est pas autoritaire du tout, ce qui se conçoit aisément, comme elle déteste le collier, elle trouve tout à fait normal de ne pas se montrer dominante avec les autres. Un point de vue qu’elle a bien du mal à partager.

Bone Crossed by DSillustration
Bone Crossed by DSillustration

Les histoires de Mercy allient vie quotidienne et évènements catastrophiques avec un certain charme et une note d’humour parfois mordant. Nous suivons les péripéties de la change-forme, c’est elle qui narre l’histoire, avec moult détails sur son petit monde, sur les personnes qui l’entourent et qui forment sa famille ou ses amis. Cela donne à la trame une consistance qui se veut familière et réconfortante malgré les incidents, parfois forts fâcheux, qui ne manquent jamais de lui arriver. Nous avons donc son opinion personnelle sur nombre de sujets et si certains d’entre eux se veulent moins intéressants que d’autres, cette petite touche personnelle nous permet d’appréhender le personnage d’une manière plus intime. Le seul petit couac, en ce qui me concerne, touche à certaines croyances, mais c’est bien là le seul hic qui me chagrine la concernant.

 

Son esprit aiguisé et rusé permet souvent des dénouements originaux sans pour autant qu’ils soient explosifs ou pétaradants. Et son caractère impudent envers les loups-garous donne souvent des situations mémorables et drôles. Pour le reste, eh bien je ne peux pas trop en rajouter sans spoiler, donc je dirais juste ceci, j’aime beaucoup le caractère des hommes qui l’entourent, surtout le chef de meute des Tri-Cities, Adam Hauptman. Hummm… ♥ ♥ ♥

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